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Champigny story !
 
Lycène (Lysandra corindon mâle)Comme les trois mousquetaires nous étions quatre, et tel un mohican non moins connu je suis le dernier....
 
Cela dit la référence est purement mathématique, et le fait d'être encore là imputable à la seule différence d'âge. Au final, et vous l'aurez compris, il sera présentement davantage question d'entomologistes que d'hexapodes.
 
C'était à la fin des années 60 et tous les mardis des mois de mai, juin, et août, j'allais " papillonner " à Champigny, non loin de Saumur, en compagnie de Mrs. Charles Moreau, Auguste Chéneau, et Jean Desmarets, tous trois éminents spécialistes des Rhopalocères.
 
À vrai dire j'étais en service commandé, en ce sens que je chassais pour le Professeur Robert Sellier, qui était spécialiste des Lycènes. Il était aussi mon chef de Service, puisque Directeur du Laboratoire de Zoologie de la Faculté des Sciences, au sein duquel j'exerçais depuis 1964.
 
À l'époque j'étais plutôt porté sur les reptiles et mon admission au sein de ce prestigieux cénacle entomologique tenait moins à mes compétences qu'à l'intervention quelque peu intéressée du Professeur Sellier, et surtout à la compréhension et à l'amabilité de mes futurs compagnons de chasse.
 
Messieurs Moreau et Chéneau étaient beaux-frères. Le premier, chirurgien-dentiste et retraité de son état, était grand, sec de corps mais non de cœur, et derrière son apparente sévérité se cachait un déroutant pince sans rire, et finalement un bon vivant.
 
Le second affichait plus volontiers la couleur, stature et saine corpulence faisant de lui ce qu'il est convenu d'appeler une force de la nature. Il était Maire de sa Commune ( Boussais, 44), et PDG d'une usine de chaussures à l'époque florissante.
 
Monsieur Desmarets était quant à lui artisan, et il excellait dans la mécanique de précision. Il suffisait de le côtoyer cinq minutes pour être conquis tant il était d'un commerce agréable et irradiait la joie de vivre. L'œil azur délavé, et le visage aussi lisse et rond qu'un pot de crème rajeunissante, sa seule concession à l'âge était la blancheur du cheveu, ce qu'il portait d'ailleurs fort bien.
 
Cela dit nos safaris hebdomadaires étaient surtout axés sur Lysandra corindon. Ce Lycène était en effet particulièrement abondant là où nous chassions, ce qui augmentait d'autant les chances de découvrir ce que nous appelions des " aberrations ". Par ailleurs les femelles bleues (=syngrapha) y dominaient quasiment les brunes (= type), ce qui était très inhabituel. De surcroît on pouvait espérer trouver de très belles formes intermédiaires (brunnea), et là on confinait l'exceptionnel.
 
Bien entendu les autres espèces de papillons étaient nombreuses, mais il n'était guère que moi pour s'y intéresser. Je débutais quasiment dans le " métier ", et j'avais donc tout à apprendre, alors que les collègues me donnaient l'impression d'avoir tout vu et tout fait, tant ils étaient parcimonieux dans leurs prélèvements, et exigeants sur la nature et la qualité de leurs prises.
 
À titre d'exemple, je n'ai jamais vu plus de 4 ou 5 papillons épinglés dans les boîtes de chasses de Mrs Chéneau ou Moreau alors qu'ils avaient arpenté le terrain toute la journée et certainement examiné plusieurs milliers de papillons. De plus c'était là une sorte de présélection, car au final un ou deux papillons s'avéraient peut-être dignes d'intégrer leurs fabuleuses collections.
 
Nos expéditions étaient particulièrement bien rodées et le rite en était immuable. Le transport se faisait à tour de rôle, et quand il incombait au très jovial Jean Desmarets nous étions assurés d'un festival ininterrompu d'anecdotes ou d'histoires drôles, le tout narré avec beaucoup de talent et force mimiques.
 
À noter qu'en présence de ses distingués aînés il faisait preuve d'une certaine retenue, mais pour l'avoir souvent vu à l'œuvre en d'autres occasions, je puis dire que le registre différait sensiblement sans pour autant tomber dans la vulgarité.
 
Quand il ne conduisait pas notre homme s'endormait régulièrement du sommeil du juste avant le 5 ème km parcouru, et tant à l'aller qu'au retour il fallait le réveiller à l'arrivée. Sa bonne humeur était résolument permanente, et la pire des tuiles qui puisse lui arriver prenait des allures de gag dès l'instant où il s'avisait de nous la conter.
 
La pause déjeuner était elle aussi très ritualisée, et elle tenait plus du repas gastronomique que du pique-nique. Nous nous installions toujours sous un vieux pommier jouxtant le petit manoir de Fourneux, et pour donner le ton je dirais que la nappe de popeline à carreaux rouges et blancs était de rigueur.
 
Le tour de rôle était là encore scrupuleusement respecté, et tandis que l'un se chargeait des apéritif, digestif, et café, les 3 autres se répartissaient les entrées, plat de résistance et dessert.
 
Sauf exception, les vins étaient le domaine réservé de Mr Chéneau, et ses prestigieuses bouteilles nous arrivaient via une petite valise hors d'âge qu'il appelait malicieusement son " croco ", alors que le carton en était manifestement plus pourri que bouilli. Reste qu'il y tenait, et que le contenu importait plus que le contenant.
 
Un autre domaine était également réservé, mais cette fois à Jean Desmarets. Ce dernier était en effet amateur de cigares et ses choix étaient à la mesure des " bouchons " d' Auguste Chéneau. Autant dire que leurs volutes étaient appréciées, et concluaient fort agréablement ces agapes d'épicuriens.
 
Bien entendu tout cela demandait du temps, et nos gourmets en prenaient, d'autant qu'il se trouvait toujours une épouse pour avoir concocté un extra. En d'autres termes c'était souvent 2 ou 3 desserts que nous imposions à des estomacs déjà très sollicités.
 
Le moment venu la remise en jambes était censément assez laborieuse. Personnellement je me serai volontiers contenté de plus bref et frugal repas, mais ces moments de joyeuse complicité relevaient du privilège, et entre deux considérations culinaires il n'était question que d'entomo, et j'apprenais donc énormément.
 
Pour conclure il est certain que cette période a été pour moi particulièrement bénéfique, et même très certainement déterminante. Bien entendu il convient d'associer le Professeur Robert Sellier, mais également Mr Michel Coupat à qui je dois beaucoup en matière de Coléoptères, et plus encore dans le domaine de la Carabologie.
 
 
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