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le p'tit cheval brun !
 
dessin de chevalC'était dans le cadre des travaux pratiques d'anatomie comparée…
 
Il nous fallait un squelette de cheval faisant le pendant avec celui d'une vache dite " nantaise " que j'avais déjà eu l'opportunité de pouvoir préparer. Reste qu'il fallait d'abord se procurer le fameux cheval…..
 
Nous avions été prévenus de sa noyade accidentelle en Brière, et de son transport imminent dans une station d'équarrissage de la région nantaise. Si nous étions intéressés il nous suffisait de prévenir l'entreprise en question, et bien sûr d'y aller "officier" ...
 
On a beau être vacciné, et même re-vacciné, un tel lieu n'est jamais très engageant, et sa seule évocation donne déjà la nausée. De plus, il faut le dire, je n'étais pas vraiment préparé pour pareille équipée, et encore moins outillé...
 
Partageant mes craintes, mais toujours là dans les coups durs, Joseph B. , dit " Zef ", s'est alors proposé de m'accompagner, et nous nous sommes lancés dans l'aventure, "armés" de nos seules blouses blanches ... et de simples cutters !
 
À l'extérieur c'était déjà insoutenable, car à l'odeur écœurante de viandes plus qu'avariées se mêlaient les émanations des " chaudrons " et autres fours transformant notamment les sous-produits en engrais. Une fois la porte du bâtiment franchie c'était bien pis, car outre l'odeur cette fois concentrée, on embrassait d'un seul coup d'œil l'étendue de notre témérité.
 
Des monceaux d'animaux de toutes sortes et dans tous les états gisaient là, sous nos yeux, au milieu d'excréments et de viscères épars. Dans ce décor de cauchemar s'affairait une petite dizaine de bipèdes du genre Cro-Magnon. Bottés, et harnachés de grands tabliers de caoutchouc noir, ils arboraient d'impressionnantes séries de longs coutelas passés à même la ceinture.
 
Les uns dépeçaient tandis que les autres dépouillaient les carcasses en un tour de main, par insufflation d'air comprimé sous la peau de l'animal. Ainsi traitée une vache prenait des allures de montgolfière en quelques secondes!
 
Nous ne savions où poser le regard tant chaque m2 témoignait de l'innommable, et le tout était complètement surréaliste, pour ne pas dire hallucinant....
 
À notre entrée chacun s'est tu et immobilisé, en nous dévisageant de la tête aux pieds. Nous n'en menions pas large et nous nous sentions parfaitement ridicules dans la blancheur de nos blouses. À cet instant nous avions même le sentiment que tout pouvait nous arriver, y compris un " accidentel " sceau de tripaille ou d'excréments en guise d'accueil...
 
L'un de nous deux réussit néanmoins à articuler que " nous venions pour le cheval ", et un coup de tête nous indiqua où gisait l'animal. Il était à terre, sur le flanc, et entièrement dépouillé à l'exception de la tête. Ce cheval était plutôt petit, mais pour l'heure il prenait des allures de Percheron !
 
Nous n'étions pas manchots et, zoologie oblige, l'anatomie animale nous était familière. Encore fallait-il le prouver devant ces " pros de la carcasse" , pour le moins septiques et curieux de nous voir à l'œuvre.
 
Quand on a sorti nos cutters, apparemment bien dérisoires en pareil cas, nous étions littéralement dans nos " petits souliers ", et dans ce haut lieu de la découpe l'atmosphère était elle-même à " couper au couteau ". Malgré cela, dans la minute qui a suivie les quatre pattes de l'équidé étaient " en vrac " et c'était manifestement pari gagné.
 
De fait, alors que je finissais l'une des pattes arrières, un des pro s'est approché pour me dire qu'il y avait un " nerf ". Je me souviens lui avoir répondu " oui, là ", et joignant le geste à la parole j'ai tranché le nerf en question, libérant ainsi la tête du fémur, ce qui entraîna d'un coup la chute du membre entier sous l'effet de son propre poids...
 
Dès lors l'ambiance s'est détendue, gage de notre admission au sein de cet étonnant cénacle, et on a pu finir notre ouvrage dans de bonnes conditions, bénéficiant même d'un coup de main quand il nous fallait déplacer la pesante carcasse.
 
Au terme de cette anecdote, qu'il faut avoir vécue pour en mesurer toute la " saveur ", je dirais que bien involontairement nous avions presque inversé les rôles. De fait, à quoi bon cette débauche de coutelas aux allures de sabres d'abattis, quand un simple cutter (bien manié il est vrai!) remplit le même office. J'ajouterais que je ne suis pas près d'oublier cette expérience, et que nos " collègues " d'un jour doivent eux aussi se rappeler de nous !
 
Pour conclure je dirais que c'était dans les années 80, et que les pauvres bougres avaient bien du mérite de gagner ainsi leur vie. Par ailleurs j'ose espérer que les conditions de travail sont aujourd'hui plus décentes, mais ne me demandez pas d'aller le vérifier !
 
 
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