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Il était une fois ... la limace et le ver de terre !
 
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Une fois n'est pas coutume, d'où cette spéciale "Mollusques" consacrée aux peu banales "Testacelles" !
Avec mes remerciements à Joseph Baudet et Franck Guérin pour leur bienvenue contribution initiale à mon "cheptel" 
 
Intro !
 
Exemple de coquille vestigiale de testacelleQuid de cette curieuse petite coquille postérieure ? Chemin faisant un bel escargot aurait-il succombé aux charmes d'une accorte limace, au point de lui laisser un p'tit souvenir ?

Que nenni ! Cette limace est en effet une "testacelle", et par-delà l'étonnante coquille vestigiale de son arrière-train, la visqueuse bestiole a une autre originalité, et pas des moindres. Comme vous le verrez, vos laitues et autres "douceurs" habituellement prisées des limaçons et colimaçons n'ont absolument rien à craindre de sa part ... et pour cause !

 
Pour info !

La faune française comporte 4 espèces de ces peu banales testacelles, lesquelles relèvent du Genre Testacella. Selon "Folia conchyliologica", (n°12, Août 2011), 3 d'entre-elles sont continentales : T. haliotidea (testacelle commune), T. maugei (testacelle atlantique), T. scutulum (testacelle des jardins), La 4e et dernière, T. gestroi (testacelle corso-sarde) est de fait insulaire.

Concrètement ...

Par-delà divers critères morphologiques, pas toujours accessibles sur le vif, la différenciation spécifique du trio continental apparait plus aisée si l'on considère la disposition des sillons latéraux en regard de la coquille. Chez T. scutulum les sillons en question se rejoignent nettement peu avant d'arriver sur ladite coquille; chez T. haliotidea, ces mêmes sillons convergent là encore franchement, mais un faible écart subsiste non moins nettement en arrivant sur la coquille; enfin, chez T. maugei la convergence des sillons est moindre, d'où un écart final beaucoup plus important tendant à approcher la largeur de la fameuse coquille.

 
Coquille et sillons de T. scutulum (testacelle des jardins) Coquille et sillons de T. haliotidea (testacelle commune) coquille et sillons de T. maugei (testacelle atlantique);
à gauche : T. scutulum (testacelle des jardins), merci à iNaturalist !
au centre : T. haliotidea (testacelle commune); à droite : T. maugei (testacelle atlantique);
 
Mais encore ...
 
Vue générale de la testacelle atlantique (Testacella maugei) Testacelle (T.maugei)  vue dorsale de la tête tentacules déployés Testacelle (T.maugei)  vue ventrale de la tête tentacules déployés
Ci-dessus à gauche : vue générale de la testacelle atlantique (Testacella maugei); au centre et à droite : vues dorsale et ventrale de l'avant corps; ci-dessous : La livrée de cette testacelle est susceptible de variations chromatiques bien tranchées, ce qui leur a valu d'être répertoriées. La spectaculaire et bien nommée forme "albina", de fait entièrement blanche, est aussi belle que peu fréquente.
Testacelle atlantique (T. maugei, forme blanche, photo 1 Testacelle atlantique (T. maugei, forme blanche, photo 2
 
 
 
Coquilles de  T. maugei, vues de dessus Coquilles de  T. maugei, sur ruban millimétré Coquilles de  T. maugei, vues internes
La coquille des testacelles varie (forme et taille notamment) selon les espèces
 ci-dessus : les coquilles de la testacelle atlantique (T. maugei) se distinguent d'emblée des autres espèces par l'importance de leur taille ; ci-dessous : comme les photos le montrent les coquilles de la testacelle commune (T. haliotidea) sont beaucoup plus petites, et la face interne en partie largement rebordée diffère là aussi très nettement.
 
  

 Ainsi va la Vie ... au pays des Testacelles !

Ces peu banales limaces passent la majeure partie de leur temps sous terre où elles traquent un "déjeuner" a priori improbable … à savoir les vers de terre ! Comme tout être vivant les testacelles sont soumises aux contingences biologiques et climatiques. A ce titre elles sont connues pour hiverner, mais aussi estiver quand les conditions de vie les y contraignent. Leur menu favori étant soumis aux mêmes conditions, la relation de cause à effet apparaît pour le moins évidente !

L'utilité desdits vers n'étant plus à démontrer, les testacelles pourraient logiquement se voir considérées nuisibles, comme le sont leurs consoeurs végétariennes. En réalité l'impact est négligeable car la densité des espèces animales carnassières est toujours très inférieure à celles de leurs proies, et c'est particulièrement vrai dans le cas présent où le moindre m2 de prairie digne de ce nom, et donc naturelle, peut contenir plusieurs centaines de lombrics en tous genres.

Qu'une testacelle puisse se frayer un chemin sous terre a évidemment de quoi surprendre tant elle semble démunie en regard de l'impressionnant équipement fouisseur de la courtilière ou de la taupe. En fait, mécaniquement parlant, les galeries de lombrics, tout comme les fissures et anfractuosités du sol, s'apparentent à de véritables avant-trous, lesquels permettent au mollusque d'aller plus avant avec une relative facilité. C'est encore plus vrai en terrain naturellement meuble, mais aussi là où le jardinage à l'ancienne est encore de mise. En effet, comme le font les lombrics, la testacelle repousse et tasse la terre latéralement, plus qu'elle ne la creuse. Pour cela elle use à la fois de sa grande capacité d'étirement, mais aussi de la puissance de ses contractions, sans oublier les propriétés lubrifiantes de son mucus. Enfin, moyennant le retrait des tentacules, la tête de la testacelle donne l'impression de pouvoir se transformer en véritable "coin", ou au contraire de s'aplatir telle une lame, facultés là encore de nature à faciliter ses cheminements souterrains.

 
Patte fouisseuse de courtillière Patte fouisseuse de taupe...Illustration de la malléabilité de la tête de s testacelles
L'art de fouir ... et s'enfouir !
à gauche : patte fouisseuse de courtilière; au centre: idem de taupe; à droite : illustration de la plasticité et de la puissance de la testacelle. Présentement l'avant corps se fait complètement lamellaire pour forcer le passage sous une plaque de verre lestée faisant office de couvercle sur un article de jardinage en terre cuite
 
 Dispositif expérimental ...............Exploitation de galeries artificielles Exploitation de galeries artificielles photo 2
Du bon usage des galeries de lombrics !
à gauche : Dispositif permettant d'illustrer le mode de cheminement souterrain des testacelles via les galeries de lombrics : plaques de verre espacées de 12 mm, du terreau humide fortement compacté, fausses galeries verticales de lombric réalisées le long de la vitre; à droite: galeries de 4 et 6 mm de diamètre, respectivement réalisées avec un tuteur de bambou, et un clou de charpentier 6 x 145.
 
Les testacelles sont nocturnes, et par nature peu actives d'autant que l'importance du volume ingéré implique des pauses digestives prolongées, particularisme physiologique leur permettant de "voir venir". En dehors de la quête d'un partenaire les sorties à l'air libre sont semble-t-il peu fréquentes, et toujours conditionnées par une météo alliant douceur et hygrométrie élevée. A cette occasion les petits escargots et limaces classiques peuvent faire les frais de leur très relatif éclectisme. Sans être véritablement de règle le cannibalisme n'est pas exclu, et c'est encore plus vrai dès l'instant où les estomacs commencent à s'impatienter. En matière de vitesse de déplacement, la lenteur des testacelles leur vaut le haut du podium. A titre comparatif les escargots font figure de F1, et croyez-moi j'exagère à peine.

Vous l'aurez compris les testacelles sont de peu banales limaces carnassières d'où une très étonnante adaptation, laquelle passe totalement inaperçue … avant de se manifester ! Pour faire simple la bestiole est dotée d'une sorte trompe buccale interne, quasi télescopique et protractile se terminant par une "radula". Assimilable à une langue, cet organe est propre aux mollusques gastéropodes. Présentement cette radula se présente telle une gouttière largement bordée de nombreuses épines cristallines faisant office de dents. Très fines, très acérées, et plus ou moins incurvées vers l'arrière elles rendent toute forme de retrait pratiquement impossible ... sauf quand leur propriétaire le décide !

La régurgitation est en effet possible, notamment en cours d'ingestion, pour peu que la bête soit agressée, ou pense l'être. Idem en cas de lésion, ou de simple dérangement dans ses oeuvres, à moins qu'il lui arrive (qui sait ! ) ... d'avoir les "yeux plus gros que le ventre" ! Vous noterez que la régurgitation est à la mesure de l'ingestion, à savoir aussi "trash" que spectaculaire ... et ce n'est pas la vidéo qui le démentira ! Vous noterez également la déstructuration de la partie ingérée (fusse depuis peu comme ci-dessous), ce qui témoigne de l'efficience de la radula et plus encore de sa "dentition".

 
Trompe buccale dévaginée de testacelle... .. ..Radula de testacelle Détail d'une radula de testacelle...........testacelle : projection de la radula sur le vif, photo 1 testacelle : projection de la radula sur le vif, photo 1
 Ci-dessus à gauche : cette évagination naturelle post-mortem a le mérite de bien illustrer la conformation de la "trompe"; au centre: détail de la radula, avec mise en évidence de ses impressionnantes "spinules"; à droite : exemples de projections de la radula sur le vif; ci-dessous : ressentis comme une agression, des attouchements dorsaux répétés à l'aide d'un fin pinceau de type aquarelle ont fini par provoquer la régurgitation (espérée !) alors que plus de la moitié du lombric était déjà ingérée. à gauche : avant régurgitation; à droite : ... et après !
Testacelle, avant régurgitation, photo 1 Testacelle, avant régurgitation, photo 1......... testacelle , régurgitation, photo 1 testacelle , régurgitation, photo 2
 
En cas de "p'tit creux", l'attaque a lieu quand la testacelle est au quasi contact du ver. Vous noterez la paradoxale fulgurance de cette attaque, eu égard à l'extrême et habituelle lenteur de l'animal. Les tentacules se rétractent et dans le même temps la cavité buccale se dilate devenant d'un coup béante (voir ci-dessous à gauche ! ). En une fraction de seconde le corps du ver en question donne alors l'impression d'être littéralement happé, voire aspiré, comme le ferait une ventouse. Bien que tout aille très vite, et donne l'impression de toujours se passer en interne, la projection et la rétraction de la "langue" sont parfois très brièvement visibles, le but étant de littéralement harponner le lombric, d'où la possible conjugaison d'un effet de traction et d'aspiration.

Ainsi capté par les redoutables épines de la radula, le déjeuner en devenir se retrouve très vite entraîné au fin fond du gosier de la prédatrice. Sur l'instant cette dernière fait littéralement le gros dos afin d'assurer sa prise, tout en améliorant son assise, car le ver ainsi piégé est évidemment bien loin d'être passif, car peu enclin à se laisser faire (*)

En mode interne la fameuse radula reprend du service en intensifiant son œuvre de déstructuration, afin de préparer le passage dans le très volumineux estomac des testacelles. A la demande, un puissant sphincter buccal permet de très efficacement maintenir le ver au fil de son ingestion. Cette dernière semble se faire par à-coups via la coordination du sphincter buccal et de la radula. Schématiquement le premier se relâche quand la seconde tire un tronçon du ver … et il se resserre une fois le tronçon tiré !

(*) Là où tout se passe le plus souvent sous terre, et donc dans des espaces censément limités et contraints, toutes les photos et vidéos relatives à la prédation sont ici fatalement réalisées à l'air libre ... et pour cause ! Les vers ainsi attaqués disposent alors d'une grande liberté de mouvements défensifs, souvent violents (contorsions, enroulements, etc...), lesquels compliquent beaucoup la tâche des prédatrices. Il n'est donc pas rare de voir des vers échapper au pire, du moins quand le rapport des tailles le permet, mais les dents de la radula doivent à coup sûr laisser de "cuisants souvenirs" (si je puis dire !) ... voire elles-mêmes en pâtir !

 
mise en évidence de la bouche, photo 1 mise en évidence de la bouche, photo 2 .........Testacelle mangeant un lombric, photo 1. Testacelle mangeant un lombric, photo 2.
à gauche : mise en évidence, post-mortem, de l'impressionnante ouverture buccale; à droite : Testacelles à l'oeuvre ... et en vidéo !
 
Grande testacelle ingurgitant  un gros lombric 'en duo"; Grande testacelle ingurgitant  un gros lombric 'en duo"; (vue ventrale) ..........Testacelle : effet de la radula Testacelle : effet de la radula, détail
à gauche : les grandes testacelles ne faisant pas de détail, un lombric de belle taille peut se voir ingéré en "doublon";
à droite : cette fois en suspension le même duo montre un début de régurgitation.... et l'effet "radula" !
 
Bien que la "morsure" initiale puisse se produire sur n'importe quelle partie du ver, la prise au niveau de la tête semble appréciée, si ce n'est privilégiée (voire obligée sur les gros lombrics). On peut y voir une question de praticité, où une plus rapide maîtrise de la proie en regard de la localisation de ses organes vitaux.

Compte tenu de la longueur des lombrics ingérés la partie antérieure de la proie est en cours de digestion là où son opposée est encore à l'air libre. Se tortillant souvent en tous sens le ver donne l'impression de vouloir se soustraire au pire, en vain est-il besoin de le préciser. A force de se débattre un ver peut finir par se rompre, notamment en raison de la fragilité induite par la dilacération de ses téguments. On peut également y voir la nécessité d'écourter (c'est le cas de dire !), un repas trop copieusement servi. Contrairement à une idée reçue le tronçon laissé pour compte ne pourra donner vie à un nouveau ver, car la plupart du temps il est dépourvu des organes vitaux rendant le fait possible.

 
les pages entomologiques d' andré lequet : http://www.insectes-net.fr