Préambule !
L'originalité du ver luisant fait qu'il est abondamment traité et illustré sur le web ... mais ce media ne nous dit pas tout ! ... et la bestiole non plus ! De ce double constat est née l'idée d'en savoir un peu plus sur les "us et coutumes" au pays des lampyres, et notamment sur le développement larvaire des mâles qui semblent issus de la génération spontanée tant le web et la littérature semblent muets sur la question ... ou l'éludent !
N'étant pas à un élevage près, fut-il peu évident et de longue haleine, j'ai "récolté" un petit lot de larves "tout venant" sur la côte vendéenne. C'était à la mi-octobre 2014, et dans un premier temps je souhaitais vérifier si l'hivernage du ver luisant relevait d'une vraie diapause, ou d'une simple quiescence. Dans le premier cas la "cessation d'activités" est incontournable quoiqu'on fasse, et dans le second elle est levée dès l'instant où les conditions de vie proposées (température et nourriture notamment) sont conformes aux besoins de l'insecte.
Premier épisode !
Placées en intérieur à 20°, et copieusement nourries, les larves sont toujours restées actives (les unes plus que d'autres il est vrai), les mues témoignant de leur bonne santé, et bien sûr de l'absence de diapause sensu stricto. Au début de la dernière décade de janvier ( le 22 pour être précis ! ) j'ai découvert une larve toute "pâlichonne", y compris ventralement, alors qu'elle était précédemment aussi noire que les autres. Sans chercher plus loin, j'ai de suite pensé qu'elle venait de muer, et était donc encore immature, d'où cette pigmentation notoirement inachevée. Quelques jours plus tard la bestiole étant toujours aussi nettement "albinisante", ma curiosité s'en est trouvée titillée, ce qui m'a incité à y regarder de plus près ... et bien m'en a pris !
Comme les photos ci-après en témoignent il y a bien eu mue ... et donc évolution morphologique ! L' extrémité abdominale est en effet très différente de ce qu'elle était précédemment, etr donc à l'état larvaire. Dès lors une forte présomption sexuelle s'est de fait imposée, "tout" se passant en effet au niveau de cette extrémité, y compris la différenciation du processus luminescent, les mâles étant par exemple dotés de deux très petits, mais très nets ... "feux arrières" ! Côté tête, si je puis dire, la morphologie des antennes s'est également avérée très différente de ce qu'elle était, un discret début de segmentation laissant même augurer leur devenir à l'état adulte. Pour finir vous noterez qu'après la tête et la "queue", c'est le tour des pattes ( comme pour l'alouette de la chanson ! ), puisqu'elles diffèrent elles aussi très nettement de celles des larves.
De prime abord, ne pouvant imaginer qu'il puisse exister une tout autre alternative, j 'ai logiquement éprouvé le sentiment d'être en présence d'un mâle en devenir, et donc d'une sorte de prénymphe ou pseudonymphe, les 2 appellations étant pareillement usitées, explicites, et valides. En d'autres circonstances ce très particulier stade larvaire surnuméraire a d'ailleurs induit la notion d'hypermétamorphose. Ce véritable phénomène morphologique est en effet connu chez les Meloidae (coléoptères parasites, une quarantaine d'espèces en France), mais aussi chez les Drilidae. Il s'agit cette fois d'une très petite Famille (3 espèces en France) et de coléoptères héliciphages proches des Lampyridae, et donc de notre "ver luisant" ... d'où un argument de plus en faveur de l'option "hypermétamorphose" ... avec mâle in fine !
La pertinence de cette option se voyait confortée par la mobilité fort réduite de cette " larve blanche", et par sa totale absence de besoins alimentaires, cette dualité physiologique permettant à l'insecte en devenir de pouvoir rester "planqué" en attendant que Dame Nature lui confère des ailes ... et tout ce qui va avec ! A contrario la taille importante de cette drôle de bestiole cadrait mal avec la petitesse des mâles, et de plus l'hypermétamorphose est connue pour toujours intéresser les 2 sexes, ce qui là encore ne "collait" pas, le passage de la larve à la nymphe se faisant directement chez la femelle du lampyre. Dès lors l'option prothétélie s'est imposée comme une sorte de "plan B", et en l'occurrence comme une possible réponse à mes interrogations ... et aux présentes "facéties" de Dame Nature !
Bien peu banale là encore, la prothétélie en question se traduit par l'apparition prématurée, chez la larve, de caractères morphologiques propres à la nymphe ou à l'adulte. Rare dans la nature, cette forme d'anomalie est plus fréquente en élevage, dès l'instant où les conditions de vie ne sont pas conformes à ce qu'elles devraient être (confinement, surpopulation, excessivité de la température, ou de l'humidité, et a contrario de la sécheresse. Le plus souvent la prothétélie se manifeste au niveau des ébauches alaires, ou antennaires, ou encore de celles des pattes. Bien entendu ces anomalies n'ont rien à voir avec la tératologie, et donc avec des malformations traumatiques accidentelles.
Les jours passaient, et rien ne se passait, d'où une réelle inquiétude sur le devenir de ma drôle de larve, d'autant qu'elle ne s'alimentait pas en dépit de mandibules et autres pièces buccales parfaitement constituées. Le 19 février, soit près d'un mois après son "apparition" (22 janvier), la blanche bestiole s'est enfin décidée à muer, et à ma grande surprise je me suis littéralement retrouvé à la case départ. La nouvelle venue était en effet parfaitement noire, et a priori conforme à ce qu'elle était avant son "blanchiement", d'où une certaine analogie avec le phénomène des mues dites régressives, notamment observables chez les termites.
L'élimination de lambeaux de mue résiduels au niveau de plusieurs pattes m'a permis d'observer la présence d'ongles bifides bien individualisés et constitués, preuve d'une indéniable progression évolutive, allant bien sûr à l'encontre de la régression ci-dessus évoquée. Ce critère morphologique intéresse en effet les seuls adultes, les pattes des larves de lampyres se terminant toujours par une simple pointe chitinisée. Cette progression vaut également au niveau de la segmentation des antennes (également apanage des adultes), cette dernière étant maintenant très nette, là où elle était précédemment à peine ébauchée.
Contrairement au 1e épisode, où de prime abord la déclinaison "mâle" prévalait ( par-delà l'option prothétélie ! ), la nouvelle morphe est plutôt apparentée "femelle", mais pour autant il n'est pas question de néoténie, et donc d'une forme larvaire apte à se reproduire comme il s'en trouve chez les termites et certains amphibiens.Quoi qu'il en soit, et c'est là une évidence, cette étrange bestiole a le chic pour jouer les transformistes, et brouiller ainsi les pistes ... sans jamais révéler sa véritable nature ! Comprenne qui pourra !
Troisième ( et dernier ! ) épisode !
Ayant bien du mal à concevoir la possibilité d' une nouvelle mue (de surcroît en l'absence prolongée de toute alimentation), j'avais encore plus de mal à imaginer la morphologie pouvant s'ensuivre. Comme je le pressentais l'étrange bestiole est finalement morte sans muer, à la fois de "vieillesse" et d'inanition (13 juillet 2015). Elle a en effet "tenu" plus de 5 mois sans la moindre prise de nourriture, et paradoxalement survécu à toutes les autres larves, capturées comme elle en octobre 2014, ou ultérieurement au premier printemps (8 Avril 2015), lesquelles se sont normalement développées, puis reproduites une fois adultes.