Au pays des Meloidae il y a toujours fort peu d'élus en regard des innombrables candidats, et la sélection se poursuit à pied d'oeuvre, et donc au sein même des cellules nourricières, puisqu'à l'image de Koh-Lanta ... "il n'en restera qu'un" ! En d'autres termes, si 2 ou 3 triongulins sont parvenus à s'introduire dans le garde-manger, il s'ensuivra une lutte fratricide, les victuailles entreposées étant prévues pour un seul convive, qu'il soit locataire en titre ... ou squatter !
Le "miel" élaboré par les Colletes étant plus fluide que celui des abeilles domestiques, la larve parasite risquerait à coup sûr de s'y noyer ... d'où l'originale parade de Dame Nature ! Les larves de Stenoria sont en effet dotées d'une généreuse bedaine en forme de coque de bateau, ce qui leur assure une parfaite flottaison. Dans le même temps le "pont" du bateau, si je puis dire, est plat et doté d'un double alignement de stigmates trachéens, véritables bouches d'aération permettant à la bestiole de "respirer".
Rappel : par-delà les variantes pouvant en découler, le développement des insectes comporte 2 voies principales, à savoir l'holométabolie, et l'hétérométabolie. Dans le 1e cas les métamorphoses sont dites complètes, l'insecte adulte passant préalablement par une phase larvaire puis nymphale (ex : chenille-chrysalide-papillon). Dans le second, les métamorphoses sont dites incomplètes, car les juvéniles ressemblent aux adultes, avec croissance au fil des mues (ex : grillons, sauterelles).
Au titre des variantes évoquées, l'hypermétabolie est un cas particulier d'holométabolie, la larve étant elle-même l'objet de transformations pouvant se qualifier de radicales. Ce mode de développement concerne les Meloidae ... et donc S. analis !
Sauf à les "décortiquer" ( au sens propre ! ), les différentes phases post-larvaires des Meloidae sont peu évidentes à appréhender ... et pour cause ! En effet, par-delà les stades larvaires permettant la croissance de la larve proprement dite, cette dernière passe ensuite par 2 étapes inhabituelles, à la fois surnuméraires et consécutives (pseudonymphe, puis prénymphe), avant de classiquement évoluer en vraie nymphe, puis en imago.
De plus, telles des poupées gigognes, les pseudonymphe, prénymphe, nymphe, et imago , se forment à l'intérieur même de la "dépouille" du stade précédent ! Au final ce sont donc 4 exuvies qui se verront quasi emboîtées les unes dans les autres, ces "matriochkas" d'un nouveau genre donnant vie au peu banal parasite qu'est Stenoria analis.
Vous noterez l'originalité de cette forme d'exuviation, là où les vieilles dépouilles sont habituellement rejetées, comme on le fait de chaussettes usagées. Dame Nature donnant rarement dans la gratuité, le concept a certainement sa raison d'être ... reste à savoir laquelle !
Dans le cadre du suivi larvaire de S. analis, un énième "raid" sur le site d'Abbaretz ( le premier datant d' Août 2017 ! ) m'a permis de "récolter" 10 cellules parasitées (sur 28) toutes issues d'une même "bourgade". Les "garde-manger" vides, la totale immobilité des larves parasites (à 2 exceptions près), et leur position verticale, tête en haut, m'ont de suite alerté. Après extraction et "toilettage" (des crottes plus ou moins desséchées et fragmentées restant çà et là collées) les pseudonymphes se sont avérées formées, hormis les exceptions précitées.
Au terme de leur pigmentation, et de leur sclérification, ces pseudonymphes ne sont pas sans rappeler les pupes de mouches, tant par la forme, la coloration, et la dureté conférée par la chitinisation. En d'autres termes l'enveloppe pseudonymphale constitue une véritable coque protectrice, mais lors de la formation de la nymphe elle va classiquement perdre en rigidité, consistance, et résistance, afin que l'imago puisse aisément la déchirer et s'en extraire. Ce processus s'observe pareillement chez les chrysalides des papillons nocturnes, et c'est même un indice majeur permettant aux éleveurs d'appréhender l'approche des éclosions.