La CIGALE PLÉBÉIENNE (Lyristes plebeja = plebejus) ... and Co !
Les cigales étant des insectes très "massifs", leurs ailes sont amples, robustes, et solidement nervurées. Afin d'améliorer la qualité du vol, le couplage des ailes antérieures avec les postérieures a été prévu par Dame Nature, possibilité au demeurant largement répandue chez les insectes. Les systèmes d'accrochages sont variés, toujours efficients, et parfois très originaux, tel le "joug" de certains papillons nocturnes. En la matière notre cigale fait particulièrement simple puisqu'il s'agit d'une courte gouttière fonctionnant sur le principe d'un "clip".
Sensiblement située au milieu de la nervure antérieure de l'aile postérieure, cette gouttière se clipse sur une zone "faite pour" de la nervure postérieure de l'aile antérieure. Vous noterez que le clipsage est très librement coulissant, d'où une parfaite adaptation aux mouvements alaires induits par les évolutions aériennes de la bestiole..
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La larve !
Qualifiées d'hémimétaboles les cigales sont des insectes à métamorphoses incomplètes. La croissance de la larve et son passage à l'état d'insecte adulte se font en effet progressivement, au gré de mues successives (le plus souvent 7).
À l' éclosion, généralement en septembre-octobre, les jeunes "pré-larves" émergent, et muent quasiment dans la foulée. Telle une araignée au bout de son fil, la jeune larvule peut rester appendue à une sorte de court filament avant de se laisser choir au sol, et de s'y enfouir pour un développement demandant plusieurs années (le plus souvent 4, mais 5 pour L. plebeja). Tout comme l'adulte la larve possède un rostre lui permettant de piquer les racines des arbres et arbustes, afin d'y prélever les sucs nécessaires à sa subsistance.
Les larves sont "outillées" pour creuser et elles ne s'en privent pas, mais elles ne font pas de véritables galeries, du moins au sens habituel du terme. Au fur et à mesure de la progression, les déblais issus du creusement sont en effet "évacués" vers l'arrière et colmatent ainsi la partie précédemment creusée. Taillé en forme de coin le "museau" de la larve prend une part active dans cette évacuation en refoulant les déblais latéralement.

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Appel à spécialistes "es cigales" : bien visibles ci-dessus, car plus clairs, plus minces, et différemment structurés, les segments abdominaux ventraux (= sternites) proprement dits présentent la curieuse particularité d'être nettement "hydrophobes" (et cela en dépit de l'ancienneté du "stockage" de ces exuvies). Sauf à considérer qu'il s'agit de la "gouttière urinaire" précédemment évoquée, hypothèse me semblant plausible, j'avoue ignorer la raison d'être de cette particularité ... d'où mon appel !
Les pattes fouisseuses !
Les larves ( et nymphes ! ) sont dotées de très élaborées et puissantes pattes antérieures, dites fouisseuses, sorte de "couteau suisse" faisant office de pioche, pelle, cisaille et tenaille (ci-dessous). La mobilité de l'éperon terminal ( en fait le tibia ! ) associée à sa position et à sa conformation (apex acéré et bord interne tranchant), fait que la patte est en effet apte à creuser, pincer, et cisailler (radicelles par exemple).
Comme les illustrations ci-dessous le montrent, le cisaillement apparaît d'autant plus efficace que la partie opposable à la lame de l'éperon est elle-même tranchante, et de surcroit dentelée pour assurer une meilleure prise. Les 2 lames glissant l'une contre l'autre on retrouve le principe même du sécateur, ou de la cisaille à volaille, les lames de ces engins étant d'ailleurs très souvent crantées pour précisément éviter le glissement. Au final, et une fois de plus, la notion de bionique (étude de processus biologiques en vue de leur transposition à des fins industrielles) s'en trouve illustrée.
Pour finir vous noterez la petitesse du tarse, son articulation basale lui permettant de se rabattre contre l'éperon "tibial", et d'ainsi se protéger lors des "gros travaux" (creusements par exemple). En pratique ces tarses finissent souvent amputés, mais leur rôle confinant l'accessoire cela ne prête pas à conséquence, d'autant qu'un tarse "tout neuf" prendra place lors de la mue suivante.
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Très schématiquement la sécrétion du bien nommé liquide exuvial va permettre le décollement de la future ... exuvie ! (terme plus approprié que "mue"). Dans le même temps l'augmentation de la pression "sanguine" (et donc de l' hémolymphe), conjuguée à celle de l'air absorbé, va provoquer la rupture du tégument thoracique larvaire, selon une ligne médiane dorsale, brièvement prolongée en "y" en avant des yeux, comme l'illustration ci-dessous le montre.
L'ouverture ainsi générée va permettre l'émergence progressive de l'insecte adulte. Allant de paire la coloration définitive et le durcissement des téguments feront suite, le processus demandant plusieurs heures. A terme la bestiole s'en ira vivre sa vie ( telle que prévue par Dame Nature ! ) et entre autres "chanter" (cigale oblige ! ) si c'est un mâle !





En guise de conclusion ...
Sachez que les exuvies larvaires présentées, pattes fouisseuses comprises, ont été "récoltées" dans l' Hérault, à Saint Jean de Fos ... en 1986 ! Autant dire qu'elles "ne datent pas d'hier", et cela malgré une évidente fragilité pouvant les voir "devenir poussière" en une fraction de seconde. Comme Ernst Jünger l'a écrit dans son remarquable Chasses subtiles : "Il est surprenant de voir combien d'années ces petits objets fragiles résistent aux injures du temps. Nous possédons encore des feuilles d'herbier qu'ont annotées un Linné, un Chamisso, des scarabées déterminés par Fabricius, de Geer, le comte Dejean" .... et ces illustres naturalistes, et précurseurs, "datent" des 17e et 18e siècle !
Toujours à propos du temps, et de son illustration, je ferais état d'une cigale d'Amérique du Nord, Magicicada septemdecim, (*) qui détient un très étonnant record, puisque son développement larvaire, et donc souterrain, demande en effet 17 ans. A l'inverse, et ce n'est pas le moins étonnant, ni le moindre des paradoxes, la cigale adulte ne vit que quelques jours, voire quelques heures, puisqu'elle naît au crépuscule et peut passer de vie à trépas dans la journée qui suit, sa seule raison d'être étant d'assurer la pérennité de son espèce. J'ajouterais que les émergences sont massives, et donc parfaitement synchronisées, d'où la fabuleuse précision d'un rendez-vous pourtant fixé par la Vie 17 ans auparavant. Au final, et je pense que vous en conviendrez, on ne peut que rester confondu devant l'étrange destinée de cet insecte.