les Carabes du mont Ventoux !
 
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Drôle de chasse au Ventoux ....
 
C'était en compagnie d'un ami parisien, entomologiste de renom, et c'était aussi bien avant que les spécificités faunistiques du site soient reconnues et protégées.
 
Entre autres particularités, le quasi mythique mont Ventoux (1912m) a celle d'héberger un Carabus auratus à nul autre pareil, à telle enseigne qu'il a été dénommé "ventouxensis". L'insecte est bleu nuit, joliment bordé de vert vif, et il vit à bonne hauteur en compagnie de formes chromatiques certes moins prestigieuses, mais non pour autant dénuées d'intérêt.
 
La bestiole est surtout nocturne, et dans la journée elle se réfugie fréquemment sous les pierres, lesquelles ne manquent pas sur ce mont, et c'est bien le moins qui se puisse dire. C'est donc là qu'il convient de la rechercher, sachant que sa période d'apparition est fort brève tant les amplitudes thermiques du fameux mont chauve sont considérables et lui mènent la vie dure.
 
Profitant d'un long week-end de Pentecôte (en 1972 ! ) nous arrivons de bon matin à Malaucène c.a.d. au pied du géant provençal, et très vite nous nous heurtons à un barrage de la maréchaussée locale car les essais d'une célèbre course automobile doivent avoir lieu l'après-midi. Après bien des palabres l'autorisation de passer nous est donnée, sous réserve d'êtres redescendus pour midi pétant.
 
Première halte au Mont Serein, le bien nommé (1250 m), et premiers carabes, dont le très rare nicolasi variété entièrement noire. Je débusque par ailleurs 3 vipères d'Orsini au beau milieu de 2 chalets en tout début de construction, ce qui laisse bien mal augurer de leur devenir. Je suis néanmoins ravi de cette rencontre car l'espèce est aussi rare que localisée, et par ailleurs aussi petite (30 cm !) que peu agressive.
 
Seconde halte plus avant vers le sommet, et nouvelle brochette de ventouxensis, mais aussi nouvelle interception d'une patrouille de gendarmerie. Cette fois un des képis est tout engalonné, et là rien n'y fait , nous sommes contraints de redescendre manu militari.
 
Il est à peine 10h et nous décidons d'aller à la toute proche montagne de Lure où l'espèce existe et présente également des formes chromatiques, sans toutefois égaler la magnificence de ventouxensis. Ne connaissant pas les lieux nous allons directement au plus haut et commençons à chasser sans grand succès.
 
Alors que nous redescendons lentement, en quête d'un secteur plus favorable, un premier carabe traverse devant la voiture, puis un second, puis un autre, puis d'autres encore. Dès lors commence une chasse pour le moins originale, et rendue possible par une circulation présentement nulle en ce lieu perdu.
 
Voiture au pas, portières ouvertes, et allure zigzagante pour coller au plus près de leurs allées et venues nous ramassions promptement nos bestioles, parfois sans même descendre de voiture. C'était certes amusant, mais finalement assez peu productif, et une fois le secteur le plus fréquenté circonscrit nous optons évidemment pour une chasse à pieds nettement plus pratique et classique.
 
Il est 11 h 30 et en dépit d'un soleil de plomb de très nombreux carabes s'activent en tous sens au milieu des caillasses et d'une végétation particulièrement clairsemée et rabougrie. C'est manifestement l'heure du déjeuner et le plus incroyable est que nos carabes débusquent des vers de terre là où aucun ne semble pouvoir subsister tant le sol largement crevassé témoigne à l'évidence d'une extrême sécheresse.
 
Sous mes yeux 2 carabes arque boutés " tirent à la corde " et la tension est si forte que le pauvre lombric finit par se rompre quand une 3 ème paire de mandibules vient jouer les arbitres. À quelques pas de là 4 autres carabes s'acharnent sur un volumineux et récalcitrant déjeuner qui se tortille en tous sens. Plus loin un autre auratus, dressé au maximum sur ses tarses s'enfuit " en danseuse " avec un ver à demi exsangue entre les pattes. Ailleurs les uns se laissent traîner sans lâcher prise, d'autres se font culbuter par leurs lombrics ou des congénères plus entreprenants, d'autres encore s'entendent comme larrons en foire et ripaillent. Bref c'est la foire d'empoigne et les mandibules vont bon train.
 
Pour nous c'était un peu le Pérou, mais sur les coups de midi, en l'espace de quelques minutes, tous les carabes se sont littéralement volatilisés avec un ensemble déconcertant. Pour eux la curée était manifestement finie... et pour nous la chasse l'était tout autant !
 
Au final je dirais que nous avons eu beaucoup de chance car si ces sorties diurnes et massives sont connues, elles sont néanmoins toujours rares, imprévisibles, limitées dans le temps et l'espace, et de surcroît on ignore totalement la nature des facteurs les déclenchant.
 
En guise d'épilogue, et pour y être très récemment retourné, je dirais que le Ventoux n'est plus ce qu'il était et qu'il est encore plus chauve que par le passé tant les bulldozers s'y sont acharnés. Au mont Serein proprement dit, un grand panneau précise qu'ici la nature est protégée et qu'il est interdit de soulever les pierres et de cueillir les fleurs. Dans l'absolu c'est fort bien, mais ce serait infiniment mieux si l'édification des désormais nombreux chalets avait été elle aussi interdite, car faut-il le rappeler la petite vipère d'Orsini, à l'instar de notre carabe, est protégée de très longue date et il m'étonnerait beaucoup que sa présence ait été appréciée et encore moins respectée.
 
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les pages entomologiques d' andré lequet : http://www.insectes-net.fr