Bleusei Story !

  retour vers la page auronitens !

 
Intro !
 
Dénommée bleusei "en l'honneur de l'habile chasseur qui l'a découverte" ( L. Bleuse en l'occurrence ! ), cette forme individuelle a été décrite de la Forêt de Lorges (Côtes du Nord) par René Oberthur, en 1884 (Annales de la Société Entomologique de France Tome 4, 6e série).
 
A mi-chemin des années 1960, soit près d'un siècle plus tard, je faisais mes débuts en entomologie, puis très vite en carabologie. A l'époque le bleusei était encore considéré comme propre à la forêt de Lorges, et pour tout dire confiné à la zone triangulaire délimitée par les routes de Quintin et Saint Brieuc. Personne ne chassant pratiquement en dehors de cette zone, la réputation du fameux "triangle de Quintin" se voyait logiquement confortée par les rares captures réalisées.
 
Les "années folles" !
 
La forêt était privée, de surcroît gardée, et de plus placée sous la protection du MNHN (Muséum National d' Histoire Naturelle ! ) en raison de la présence d'un rare "colimaçon" (Elona quimperiana). De ce fait y chasser le carabe n'était pas sinécure car il fallait bien souvent jouer à cache-cache avec un garde très affuté, et un chien qui ne l'était pas moins. Le duo était d'autant plus redoutable, et redouté, qu'il logeait au sein même de la forêt, non loin de la zone "stratégique". Même si le garde en question avait à l'évidence d'autres occupations et obligations, les "contrevenants" avaient néanmoins de bonnes chances de se faire virer manu militari.
 
Via un responsable universitaire, j'avais eu la chance d'obtenir l'autorisation écrite du propriétaire (Mr Xavier de Largentay), ce qui m'a permis de plus ou moins "fraterniser" avec ledit garde, car nous avions tous deux "guerroyé" en Algérie ( au demeurant contraints et forcés ! ). Il s'ensuivait un "statut" personnel quelque peu privilégié, mais j'en profitais finalement trop peu à mon goût. Cela tenait aux 400 kms à parcourir, à un réseau routier sans commune mesure avec l'actuel, et à un véhicule ... largement rôdé !
 
Tout ce qui est rare a un prix et notre garde a vite compris qu'il pouvait améliorer un ordinaire en ayant sans doute bien besoin. Pour cela il lui suffisait de "fermer les yeux" ( ou de "regarder ailleurs" ! ) et à l'occasion de servir d'intermédiaire, voire de monnayer une bestiole providentiellement débusquée lors de travaux forestiers. Bien entendu un chasseur ayant eu la main heureuse pouvait pareillement "céder" sa prise à un collègue moins chanceux, mais pour des raisons évidentes ce genre de transaction trouvait très vite ses limites.
 
La discrétion se faisant moins impérative, et les possibilités de stationner étant relativement limitées, les rencontres entre chasseurs n'étaient pas exceptionnelles, sans pour autant tomber dans la banalité. Ce genre d'opportunité m'a d'ailleurs permis, en 1974, de faire la connaissance d'un collègue et ami dont il sera bientôt question. Cela m'a également permis de voir une bestiole changer de mains, le Docteur B... étant semble-t-il bien connu pour chasser le carabe, mais aussi pour avoir les moyens d'étoffer sa collection sans risquer d'attraper un tour de rein. Je ne puis l'affirmer, mais à en croire les initiés il fallait débourser 5000 frs, chiffre à l'évidence élevé, mais plausible compte tenu de l'époque et de l'intérêt de cet insecte. De plus, et le fait est bien connu, quand on aime ... on ne compte pas !
 
Au fil des années, et de coudées à l'évidence nettement plus franches, les gîtes favorables se sont vus surexploités, si ce n'est détruits, et dès lors le problème n'était plus de trouver la fameuse bestiole, mais bel et bien de trouver quelque chose à gratter. En désespoir de cause les piochons ont commencé à déserter le fameux triangle, pour finalement trouver bleusei en d'autres secteurs de la forêt. La bête s'y montrait toujours aussi rare … mais elle s'y montrait !
 
Pour situer la rareté de cet insecte, Michel Tarrier, le "monsieur carabes" des années 70-80 est venu en catimini chasser une semaine à Lorges, car il ne croyait pas aux dires des chasseurs bretons, et pas davantage à la rareté de bleusei. Selon son expression il escomptait sans doute en ramener une "brouette", mais il est revenu bredouille, et ne s'est pas flatté de cette cuisante déconvenue relatée par son collègue Jean Delacre. Petite satisfaction personnelle, à l'occasion d'un échange épistolaire Michel Tarrier a fait son mea culpa en reconnaissant que bleusei était bien le plus rare des hémimélanisants ( du moins à l'époque ! ). A contrario on peut évidemment "tomber" sur la bête après de 5 minutes de chasse ou 3 souches grattées, mais là il faut une chance que je n'ose qualifier ... et en plus il n'est pas dit que cela suffise !
 
Dans le même esprit, , Michel Coupat ( mon maître es carabologie ! ) a trouvé les 2 exemplaires de sa collection lors de sa dernière venue à Lorges. C'était en Novembre 1968, peu avant de se retirer dans le Cher, et donc après un nombre de chasses pouvant se qualifier de respectable. Ce peu banal doublé pourrait être le fait du hasard, ou une juste et ultime compensation octroyée par je ne sais quel "dieu", mais les 2 bestioles ayant été trouvées à quelques mètres l'une de l'autre, je pense qu'il s'agit du fruit d'une même ponte. Sans entrer dans la très complexe génétique des carabes, sachez que la descendance de formes typiques, elle même typique, peut parfois se voir "agrémentée" d'un nombre très réduit de bleusei. Ceci expliquant cela !
 
Amateur de carabes (entre autres insectes), mais surtout féru d'apiculture, Joël Juge, le collègue et ami précité, résidait à Saint Brieuc, et donc à 2 pas de Lorges et de ses environs où il aimait se balader, et à l'occasion "grattouiller" 2 ou 3 souches. C'est ainsi qu'en 1980 il m'a fait part d'une peu banale trouvaille, à savoir un bleusei, et cela sur Saint Bihy, et donc nettement en dehors de Lorges.
 
Avec l'aval de Joël Juge, Alexis Bontemps ( mon partenaire attitré !) et moi-même avons entrepris une prospection systématique, sur cartes au 1/25.000e, de tous les boisements des cimes de Kerchouan, y compris les moins engageants d'aspect, de taille et de localisation. Au terme de ce laborieux travail, et de week-end cumulés portant essentiellement sur les années 1980 et 1981, le bleusei a été trouvé dans plus d'une vingtaine de localités, et son aire s'est vue ainsi précisée.
 
Comment expliquer ....
 
En tant qu'espèce l'auronitens de Bretagne ne manque pas d'originalités ... pour preuves !
 
Comment expliquer qu'on puisse trouver ce carabe dans des taillis carrément "dégueu", et dans le même temps constater sa totale absence au sein de grandes et belles forêts. Cela vaut notamment pour Loudéac et Quénécan, pourtant fort peu distantes de Lorges, puisque respectivement situées à 20 et 30 km.
 
Comment expliquer qu'auronitens puisse abonder en certaines localités, et cela sans présenter la moindre variation chromatique, alors que les formes mélanisantes peuvent (ou pouvaient ! ) parfois atteindre 20 % de la population en d'autres lieux ( et autres temps ! ), comme en Forêt de Coatloch (Finistère) par exemple.
 
Comment expliquer la raréfaction des formes mélanisantes, si ce n'est par la surchasse et par leur prélèvement systématique, ce qui conduit logiquement à un appauvrissement des potentialités génétiques de ces phénotypes. J'en veux pour preuve la localité totalement inédite découverte en 2013 par Jeanine L … où le quota des mélanisants atteint le 1/3 des effectifs. De même, mais cette fois dans le cadre de la description originale du bleusei, René Oberthur écrit: "les deux tiers environ des auronitens de la forêt de Lorges appartiennent au type à élytres vertes et corselet rouge cuivreux", ce qui revient à dire que le tiers restant était composé de formes mélanisantes … temps là encore plus que révolus, est-il besoin de le préciser !
 
Comment expliquer qu'à Lorges sensu stricto le bleusei soit si rare, alors qu'il se prend aisément dans de quasi "mouchoirs de poches", ou qu'on puisse parfois en trouver 2 exemplaires sur la même souche (pas rare à Guercy ! ), voire 3 comme cela m' est arrivé à 2 reprises sur St Bihy … d'où des "scores" totalement inimaginables de nos jours. A titre d'exemple la trentaine de bleusei a été atteinte à plusieurs reprises (sur un week-end et à 2 s'entend ! ), et bien sûr toujours en hiver, et donc au piochon ! J'ajouterais que ces "scores" auraient pu être encore plus élevés si nous avions "ratissés" certains secteurs au lieu de simplement les "survoler" afin de continuer nos recherches en d'autres lieux, principe même de toute prospection digne de ce nom.
 
Comment expliquer que bleusei soit présent dans toutes les localités "satellites" de Lorges, et cela à l'exclusion de toute autre variété chromatique, exception faite de 2 sites (dont Guercy), où j'ai trouvé de très rares "holomélanisants", se comptant véritablement sur les doigts de la main.
 
Comment expliquer que dans 2 petits bois "jumeaux", tracés au cordeau, et situés à moins de 100 m l'un de l'autre ( pour ne pas dire à touche-touche ! ), auronitens puisse exister dans l'un et pas dans l'autre.
 
Comment expliquer que bleusei se trouve dans une banale allée piétonne bordée d'une simple rangée d'arbres, ou encore que je puisse en avoir trouvé un exemplaire le long d'une route nationale, au milieu des "papiers-culs" et autres articles d'hygiène, et cela dans un minuscule bosquet bordant un non moins minuscule parking "sauvage".
 
Comment expliquer la rapidité de l'évolution de ces populations périphériques, alors qu'à l'échelle des ans le morcellement de ces boisements paraît extrêmement récent, pour ne pas dire quasi contemporain, au moins en partie. Que dire surtout de l'avènement et la suprématie de bleusei, avec éviction concomitante des autres formes chromatiques mélanisantes.
 
A tout cela s'ajoutent les facéties du hasard, comme ce fut le cas à Guercy. Véritable Eden carabologique, ce bois a été découvert en solo par A. Bontemps. Contre toute attente, lors de son premier passage, il n'a trouvé que des types, de surcroît en abondance, et n'a pas donc insisté. Pris de remords, si je puis dire, nous y sommes retournés tous les deux … et là nul besoin de commentaire !

Sachez enfin que bleusei est connu de certains initiés ( dont je suis ! ) d'une très ponctuelle localité du Finistère. Là encore la bête peut se considérer comme rare, et à ma connaissance c'est la seule forme chromatique présente en ce lieu.

 
En guise de conclusion ...
 
Outre l'aspect "historique" de ce récit, qui je l'espère vous aura éclairé et intéressé, vous aurez compris que toutes les micro-stations des "Cimes de Kerchouan" ont été découvertes par A. Bontemps et moi-même. A l'évidence ce n'est pas rien, entomologiquement parlant, mais aussi en regard de l'énergie déployée et du temps consacré. En effet, par-delà l'attrait de la découverte, et le plaisir de fouler des terres "vierges", sachez qu'il n'est pas forcément plus facile d'y chasser, car les gîtes favorables étant censément nombreux, il s'ensuit une large dispersion des bestioles.
 
Bien entendu tout cela méritait amplement d'être publié, scientifiquement parlant s'entend, mais d'un commun accord nous avons préféré ne rien divulguer afin d'éviter une ruée vers ce nouvel Eldorado carabologique … aujourd'hui devenu secret de Polichinelle ! … et par le fait totalement dévasté !
 
 
  retour vers la page auronitens !
 
 
les pages entomologiques d' andré lequet : http://www.insectes-net.fr